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Marc...
par Frederic LaSalle le, 27/11/2017

l pleuvait à verse lorsque je suis arrivé sur le campus de l'école. Curieusement, j'ai tout de suite compris que je ne me sentirais jamais à l'aise dans cet endroit. Tout était gris, triste, dépouillé, bâti dans le style hâtif et approximatif de l'après-guerre. En même temps, l'immensité de l'édifice était impressionnante, presque intimidante. Je serais resté plusieurs minutes à contempler ce paysage désolé si la pluie n'avait pas fini par traverser mon caban et commencé à mouiller ma chemise. Reprenant mes esprits, j'ai couru vers le première porte que je pouvais apercevoir. A l'intérieur, je me suis vu dans une baie vitrée. J'étais dégoulinant de pluie, j'avais presque l'air d'un clochard. Je me suis secoué, et j'ai extirpé de ma poche le plan à demi déchiré de l'école. Accueil, Porte I 4. Parfait, pensai-je, je suis tout près. Prenant mon courage à deux mains, je me suis dirigé vers la porte pour affronter l'averse.

La femme qui tenait l'accueil des étudiants de première année me regarda entrer dans son bureau et salir le sol à chacun de mes pas d'un air circonspect. Cela me mit tout de suite mal à l'aise. Sans un mot, elle prit mon borderau de situation, l'examina brièvement, cocha quelques cases sur un formulaire qu'elle me demanda de signer, et, d'un air excédé, me fit : « Il n'y a plus de place dans les bâtiments de première année. Vous aurez une chambre avec les étudiants de deuxième année. » Elle désigna de l'index un chiffre qu'elle avait inscrit en bas du formulaire : 5310. « Bâtiment 5, 3ème étage, chambre numéro10 » précisa-t-elle en voyant mon air inquiet. Puis elle baissa les yeux et continua à cocher des cases sur ses imprimés administratifs. Apparemment, les formalités étaient terminées.

Dehors, la pluie avait cessé, et un rayon de soleil perçait à travers le ciel gris. Je décidai de retourner à ma voiture, puis d'aller directement au bâtiment 5 y déposer toutes mes affaires. Quand j'ouvris la portière, je vis l'écran de mon téléphone clignoter. J'avais un message. «Frédéric, c'est Maman. J'espère que tu es bien arrivé, et que ce que tu as trouvé te plaît. Rappelle-nous. ». Je retins un sourire, et je reposai le téléphone sur le siège passager. Puis j'enclenchai le démarreur. Ils pourraient attendre.

II

Le bâtiment 5 était le plus éloigné du centre du campus, au bout de la route qui menait aux terrains de sport, caché par une haie d'arbres qui prenait, avec l'automne, une allure sinistre. C'était aussi, à ce que je pouvais en juger, celui qui était dans le plus mauvais état. Contrairement aux autres bâtiments, devant lesquels j'avais vu plusieurs voitures garées, certains encore pleines de valises, le parking du bâtiment 5 était desespérément vide. Sans doute les deuxième années commençaient-ils plus tard que nous, observai-je. A vrai dire, j'étais soulagé. J'allais pouvoir déménager toutes mes affaires tranquillement, et m'installer à mon aise avant que le bâtiment ne s'anime.

Quand je pénétrai dans le hall, une forte odeur de renfermé m'assaillit. L'escalier était sombre, les murs sales et mal repeints, et surtout, les boîtes aux lettres (100 en tout), alignées au fond du hall, étaient quasiment toutes éventrées, sans serrure ni même porte. En haussant les épaules, je montai prestement les trois étages. La chambre 10 était située sur le palier, jouxtant les toilettes. Elle était séparée des deux couloirs qui desservaient les autres chambres par d'épaisses portes battantes. Je me suis tout de suite senti exclu, mal à l'aise, comme si l'on avait voulu me faire sentir que je n'avais pas ma place ici. Je me demandais pourquoi on m'avait choisi pour habiter dans ce bâtiment vétuste, sinistre, et peuplé d'étudiants de deuxième année avec lesquels je n'allais pas avoir grand chose à partager.

La porte s'ouvrit sur une pièce d'une dizaine de mètres carrés, très lumineuse, mais dépouillée et austère. Dans le fond, devant la baie vitrée trônait un large bureau. Sur le côté, un lit, et une petite étagère. A droite, un meuble bas et une chaise. Rien d'autre. Le soleil qui illuminait la pièce depuis peu révélait les marques du temps sur les murs jaunâtres. Je m'avançais précautionneusement. En arrivant près de la fenêtre, je fus étonné de constater que j'avais une vue magnifique sur toute la vallée, en contrebas. Toute la ville, s'étendait sous mes yeux, derrière une forêt de sapins qui parsemait le flanc de la montagne. A ma droite, je distinguais aussi quelques autres bâtiments d'étudiants. Regaillardi par cette découverte, je redescendis chercher mes valises dans ma voiture et commençai à entasser mes bagages à l'intérieur.

III

- C'est vraiment super chiant, non ?

Je me tournai brusquement vers mon voisin de gauche, surpris qu'il m'ait adressé la parole. Il me regardait avec un grand sourire. Tout le reste de l'amphithéâtre était silencieux, chacun prenait consciencieusement en notes les recommandations des responsables de l'école sur la vie sur le campus, en ce premier jour de séminaire d'intégration.

- Euh, oui, bafouillai-je, enfin, je n'écoutais pas, alors...

- Ouais, t'as raison. Moi c'est Marc. Et toi ?

- Frédéric, répondis-je, ne réalisant pas encore très bien qu'au lieu d'écouter les conseils du Directeur des Etudes, j'étais en train de faire ma première connaissance sur le campus.

- Et tu viens d'où ? poursuivit-il, visiblement désireux de ne pas en rester là.

- Dunkerque.

Il fit semblant d'être horrifié, puis enchaîna:

- Moi je viens de Nancy. C'est pas vraiment mieux.

Il avait l'air si gentil à ce moment que j'ai vraiment eu envie de le connaître. Je le remerciai intérieurement lorsqu'il me proposa :

-On va manger ensemble ce midi ?

Il s'arrêta, puis reprit, un peu confus: "A moins que tu aies déjà prévu..."

- Non, coupai-je en secouant doucement la tête. Je ne connais personne ici. Je suis le seul de ma prépa à avoir intégré.

Il leva le pouce en terme de victoire, puis détournant le regard, reprit un air sérieux pour faire semblant d'écouter la suite des discours.

J'avais choisi d'intégrer cette école d'ingénieurs à Grenoble par raison plus que par passion. C'était, pour moi, le meilleur moyen de mettre des centaines de kilomètres entre mes parents et moi. Si j'avais choisi d'intégrer une école parisienne, j'aurais dû rentrer chez moi tous les week-end, et forcément je n'aurais pas pu rompre le lien avec mes parents. A Grenoble, j'étais tranquille, loin de toute la famille, prêt à commencer une nouvelle vie, sans craindre le regard de personne. Je m'étais décidé à assumer mon homosexualité, du moins à ne rien cacher à personne. C'était l'occasion rêvée : je débarquais dans une ville où je ne connaissais personne, j'allais pouvoir être moi-même sans que personne ne réalise que cette nouvelle personnalité n'avait que très peu de points communs avec l'ancienne. J'avais longtemps attendu le moment où j'allais enfin pouvoir annocner la couleur avec un peu d'appréhension. Aujourd'hui, devant Marc, ma première connaissance sur le campus, je me rendais compte que les choses étaient vraiment moins faciles qu'elles n'en avaient l'air. Cela faisait un quart d'heure que nous parlions de tout et de rien, en dégustant notre premier repas au Restaurant Universitaire, et je me demandais si, quand l'inévitable question sur la copine que je devais avoir laissée à Dunkerque et qui devait être malheureuse surviendrait, je serais capable de faire comprendre à Marc que j'étais gay sans qu'il ne se froisse. C'est arrivé comme je m'y attendais:

- J'imagine que ta copine aurait préféré que tu intègres une école parisienne, non ? fit Marc en mordant dans sa miche de pain, sans me regarder.

Je me suis jeté à l'eau, sans hésiter. Ma voix trembla un petit peu : Tu sais, Marc, en fait...

Il leva les yeux, intrigué.

- Eh bien, en fait, je suis... bi.

Il haussa les sourcils, et esquissa une moue d'approbation. "Moi aussi".

D'étonnement, je restai bouche bée.

- Ne fais pas cette tête-là, poursuivit-il, on dirait que je suis un meutrier ! En fait, je crois que je préfère les filles. Mais quand un mec me plaît, je ne dis pas non, tu vois ?

Son sourire m'intrigua, et je commençai à soupçonner qu'il puisse prendre ma confession pour une avance déguisée. Je me suis mis à penser que cela faisait peut-être une heure et demie qu'il me draguait, qu'il s'était assis à côté de moi dans l'amphi avec cette idée en tête et soudain j'eus presque la nausée. Marc n'était pas laid, il était même plutôt mignon, avec ses yeux bleus et son physique de surfeur assagi, mais rien en lui ne m'avait fait tilter depuis que je l'avais rencontré. Absorbé par mes pensées, je sursautai quand il reprit la parole.

- Hé, t'inquiète, je suis pas en train de te draguer, j'ai de quoi faire en ce moment.

Puis, sur un ton de confidence, avec un air entendu : "Je vois un mec et une fille, alors tu vois, pas d'inquiétude !"

Il sourit à mon air déboussolé. Je devais paraître envieux de sa situation parce qu'il ajouta, narquois :

- Ne me dis pas que tu n'as ni copain ni copine ! En tout cas, ça ne devrait pas tarder à changer, je te le promets !

Je le regardai, sans comprendre.

- Tout à l'heure, à la pause, en allant prendre un café, j'ai entendu mes voisines parler de toi; elles disaient que tu étais le plus beau mec du campus !

Malgré mon incrédulité, je ne pus réprimer un sourire.

- Merci du compliment.

Pour toute réponse, Marc me tapa amicalement sur l'épaule. "Je ne me fais pas de souci pour toi, va".

En rentrant dans ma chambre, le soir, je me suis dit que j'avais quand même beaucoup de chance.

IV

Le dimanche suivant, Marc et moi avions conclu d'aller faire une partie de tennis sur le stade du campus, un peu en contrebas des bâtiments des élèves. Cela faisait un peu plus d'une heure que nous jouions, et le soleil brûlant commençait à me fatiguer. Je fis un geste de rémission à Marc, qui, faisant semblant de ne pas saisir, accourut :

- Quoi ! Mais ça fait à peine dix minutes qu'on a commencé !

- Arrête de délirer ! Ca fait plus d'une heure que l'on combat ! J'en peux vraiment plus.

- OK, OK, admit-il, on s'arrête. Mais il faudra qu'on continue, ça me fait plaisir d'avoir trouvé quelqu'un de mon niveau.

- Si tu veux, concédai-je entre deux gorgées d'eau. Oh, je n'ai qu'un envie, c'est ne rien faire, et dormir jusqu'à demain matin...

- Ca m'étonnerait que tu y arrives, me prévint-il. Les deuxième années rentrent ce soir. Il va y avoir de l'animation dans ton couloir...

- Ah oui ? Comment tu sais tout ça, toi ?

- J'ai un très bon copain (dans ma tête, j'ai tout de suite pensé : "Tu veux dire un ex de l'année dernière ?) qui est en deuxième année. D'ailleurs, il habite dans ton bâtiment, au quatrième.

- Tu ne connais personne au troisième ? demandai-je innocemment.

Il secoua la tête.

- Non. Par contre, je sais que c'est un étage réputé...

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Oh, rien. Il est traditionnellement réservé aux gars du Club Foot. Et eux, il ne font pas spécialement dans la dentelle, tu vois. Surtout pendant le bizutage...

Je blêmis. Marc s'aperçut de mon trouble et corrigea aussitôt : "Mais toi tu n'as pas à t'en faire, tu es dans leur couloir, ils vont vite t'adopter ! Avec un peu de chance, tu ne seras même pas bizuté !"

Je fis croire à Marc que ses paroles m'avaient rassuré. Il n'aborda plus le sujet de l'après-midi. En moi, pourtant, tout était bouleversé. Non seulement j'habitais avec des deuxième années, mais en plus avec les durs des durs. Ceux que je craignais par dessus tout. Quel programme. Un moment, j'eus envie de demander à Marc s'il pensait que je pouvais encore déménager, mais je ne voulais pas qu'il sache que je paniquais. Je ne voulais pas qu'il pense que j'avais peur du bizutage.

Avant de me quitter pour reprendre le chemin pierreux qui menait à son bâtiment, Marc me prit par le bras :

- Ce soir, je sors. Il y a un club sympa à Grenoble, qui fait des soirées gay. Tu veux venir avec moi ?

Je mourais d'envie de lui sauter dans les bras pour le remercier. Au lieu de celà, je m'entendis répondre lâchement : "Ce soir je n'ai vraiment pas le courage, c'est gentil. Mais un autre dimanche, ça me ferait vraiment très plaisir". Il faudrait que je trouve une excuse plus valable la prochaine fois, mais je me voyais mal dire à Marc que je n'osais pas -encore- aller dans ce genre d'endroits. Dans de tels moment, j'avais vraiment envie d'être à sa place. Il avait l'air si à l'aise avec sa sexualité, avec les garçons comme avec les filles !

Il sembla comprendre. Avant de partir, il me retint encore :

- Hé Fred ! Juste un truc : si tu croises un mec très grand, baraqué, brun, dans ton couloir, pas de gaffe : c'est le président du Club Foot. Si t'es mal avec lui, tu seras mal toute l'année.

J'hésitai entre l'envie de le traîter d'enculé pour me faire peur sans avoir l'air de rien et celle de le remercier à genoux pour ses conseils qui me seraient assurément précieux. Je préférai sourire faiblement et tourner les talons. J'entendis ses pas sur le chemin de pierre s'atténuer, puis disparaître. J'étais déjà devant l'entrée du bâtiment 5.

V

Marc avait raison. A l'intérieur du bâtiment régnait une activité fébrile mêlant cris de retrouvailles, rires, et soupirs bruyants lorsqu'il s'agissait de transporter les bagages depuis le Rez-de-Chaussée. Tel un intrus, je me dirigeai à pas de loup vers ma chambre. Je croisai une ou deux personnes, qui me dirent bonjour, sans manifester un quelconque signe d'hostilité envers moi. Au moment où je tournai la clé dans ma serrure, la porte du couloir s'ouvrit, et un type assez petit, carré et trapu sortit en direction des toilettes. Il s'arrêta devant moi et me tendit la main.

- Salut, fit-il, moi c'est Fabrice.

- Bonjour, répondis-je timidement. Moi c'est Frédéric.

- Tu es nouveau, non ? Je ne t'avais pas vu l'année dernière.

- Oui, repris-je en baissant les yeux, sous le poids de la confession. En fait je suis en première année, mais les bâtiments 1 et 2 étaient complets alors ils m'on mis avec vous.

Je ne pus pas savoir ce que cachait le sourire énigmatique qui se dessina sur ses lèvres.

- Ah ! s'exclama-t-il. On a des bizuths avec nous ! T'en fais pas, c'est un couloir sympa, tu verras. Passée la première semaine, tu te sentiras comme chez toi.

Sur ces paroles peu engageantes, il se dirigea vers les toilettes. Je restai immobile, devant ma porte, comme pétrifié par ses paroles. "Passée la première semaine..." Le bizutage allait donc être si terrible ? Reprenant mes esprits, je pénétrai dans ma chambre, allumai la radio et m'étendis sur mon lit, en essayant de penser à autre chose.

J'avais peur. Peur d'exister. Je n'osais pas sortir de ma chambre, de peur de me faire repérer. Je ne pouvais pas mettre la musique trop fort, de peur que mes voisins entendent. Il fallait que durant une semaine -au moins- je me fasse tout petit, pour que personne ne pense à moi, et que l'on m'oublie pendant la semaine de bizutage. Je savais que, de toute façon, je serais aux premières loges, mais je tentais de croire que j'avais une chance pour échapper à ces jeux dangereux. Un moment, j'eus envie de rappeler Marc, de lui dire que je sortais avec lui ce soir, n'importe quoi pour que je puisse m'éloigner de ce bâtiment 5 de mauvais augure. J'échafaudais des plan rocambolesques : je pourrais rentrer chez moi, à Dunkerque, cette semaine, et ne revenir qu'une fois passée les réjouissances de l'intégration. Il fallait que je me convainque que j'allais échapper au bizutage. Cette idée m'obsédait.

Durant toute la soirée, le troisième étage fut le lieu d'une intense animation. J'entendais à travers la porte les étudiants qui parlaient bruyamment, qui se retrouvaient après plusieurs mois de vacances. Cette atmosphère amicale me faisait envie. Dans le même temps, je ne pouvais m'ôter de l'esprit que ceux qui avaient l'air si sympathiques, là, dehors, à quelques pas de ma chambre, seraient les mêmes qui s'amuseraient avec notre amour propre la semaine prochaine. Cette perspective me faisait vraiment froid dans le dos.

VI

Le lundi matin, j'eus la surprise de me retrouver avec Marc pour le premier cours de la matinée. Je ne pus résister au plaisir de lui demander comme s'était passée sa soirée. Il esquissa un baillement, pour me faire comprendre qu'il n'avait pas beaucoup dormi.

- Oh, c'était pas mal, mais j'ai trouvé que c'était un peu désert. Il n'y avait pas beaucoup de mecs de notre âge. L'université ne reprend que dans deux semaines, alors là ce sera bien mieux. J'espère que tu viendras !

Je fis 'oui' de la tête, comme pour me persuader moi-même.

- Mais tu sais, objectai-je, je n'ai pas trop l'habitude de sortir. Ce n'est pas à Dunkerque que...

- Tu veux dire que tu as peur, c'est ça ? Allez arrête un peu tes faux complexes.

Puis, sur un ton de fausse confidence : "Je t'ai déjà dit que tu n'avais rien à te reprocher. Tu es super mignon, Fred, et ne prends pas ça pour une déclaration. Je suis sûr que tu feras un malheur au Paradoxe..."

- Il y a une différence entre être mignon et avoir confiance en soi, tu ne trouves pas ?

Marc fit une moue d'exaspération et fronça les sourcils.

- Mais comment veux-tu prendre confiance en toi si tu ne t'en donnes pas les moyens ? Si tu ne sors jamais, tu ne rencontreras personne ! Ecoute, ce n'est pas sur ce campus hyper-beauf que tu vas pouvoir rencontrer un mec ou une fille bien. Les filles sont pas vraiment canons, et les mecs sont tous hétéros à 200%. Alors si tu veux rester à vivoter ici, tant pis pour toi ! Ne viens pas te plaindre !

Touché par ses paroles, je baissai les yeux pour éviter son regard.

- Tu as raison, admis-je après un moment de silence. Force-moi à sortir. Ne me laisse pas tomber.

Marc passa fraternellement son bras autout de mon épaule. Surpris et gêné, je rougis brusquement.

- Don't worry my friend.

Je frissonai quand il enleva son bras, comme si de rien n'était. Son regard n'exprimait rien d'autre qu'une profonde amitié.

Je ne pouvais pas dire si j'en était rassuré ou déçu.

VII

Il était près de onze heures en ce lundi soir lorsqu'on frappa à ma porte. Interdit, je restai quelques instants immobiles, sans savoir que faire. Mon coeur battait à tout rompre. Pouvait-il s'agir d'un comité de bizutage ? Ecoutant attentivement les bruits venant du couloir, je n'entendis rien de particulier. Ce ne pouvait pas être un groupe. J'aurais entendu des rires étouffés ou des pas. Quelque peu rasséréné, je me dirigeai vers la porte et l'ouvrit doucement.

A peine était-elle entr'ouverte qu'un pied la poussa brutalement et elle s'ouvrit brusquement en cognant sur le mur. Devant moi se trouvaient une dizaine d'étudiants, tous vêtus de noir, la peau recouverte de peinture, aux regards complètement hystériques. "Comité de bizutage bonsoir !" hurla l'un d'entre eux et les autres se mirent à rire bruyamment. "On a choisi de commencer par toi pour te punir d'être venu nous narguer dans notre propre bâtiment, espère de petite merde de première année. Nous allons laver cet affront !"

Sur ces paroles, deux des étudiants me prirent par les bras et par les jambes, et, cahin-caha, me firent descendre l'escalier sous les 'hourra' des autres. J'étais terrifié et je crois que les bizuteurs s'en étaient aperçus. Ça les réjouissait, de tomber sur un première année qui avait peur d'eux, et semblait prêt à accepter n'importe quel supplice. En mon for intérieur, je priais pour que cette séance ne dure pas trop longtemps. J'étais déjà traumatisé.

Une fois que nous fûmes arrivés en plein milieu du bois qui séparait le campus du terrain de sport, bien à l'abri des regards indiscrets, les deux types qui me tenaient fermement me lâchèrent.

- Allez, bizuth, vociféra un mec derrière eux, fous-toi à poil.

Je restai immobile, les yeux fixés sur le sol.

- Hé t'es sourd ou quoi ?

Il s'était approché, je pouvais voir la lueur bestiale qui éclairait ses yeux. Il me prit par l'épaule et me secoua brutalement. « Tu te fous à poil ou tu veux qu'on s'en charge nous-mêmes ? » Le reste de la bande partit d'un rire gras qui me fit perdre le peu de confiance que je conservais. Je commençai à ôter mon pull, puis mon pantalon. Bientôt je fus en slip devant eux. Je n'osai même plus les regarder.

- Vas-y, branle-toi, bizuth !

Devant l'obscénité de la demande, je tressaillis et jetai un regard inquiet vers son auteur. Il avait tout sauf l'air de plaisanter. Je fis pourtant comme si je n'avais rien entendu. Presque malgré moi, j'avais décidé que je ne m'abaisserais pas jusque là. Je ne fis pas un geste. Le plus petit des deuxième années se rapprocha de moi et demanda, d'une voix doucereuse : « Tu veux pas te branler pour nous, hein ? »

Je ne prononçai pas un mot. Il se retourna vers les autres, les prenant à témoin :

- Hé ! Le bizuth refuse d'obéir ! C'est un rebelle, notre bizuth !

- Punition ! Punition ! hurlèrent les autres en coeur.

Je sentais qu'ils n'attendaient que ce moment. Les deux colosses de tout à l'heure me reprirent sans ménagement par les jambes et les pieds, et m'emmenèrent vers le sud. Je compris bientôt vers quel endroit on se dirigeait. Le lac.

Il y avait une sorte de promontoire, sur la rive nord, qui permettait de s'avancer dans le lac et de plonger en eaux profondes. Les dix bizuteurs avaient bien sûr décidé de m'y emmener. Ils ne me lâchèrent qu'au bout de la jetée, au bord de l'étendue d'eau noirâtre et silencieuse.

- Alors, tu veux toujours pas nous montrer ce que tu sais faire avec tes mains ?

Pas de réponse.

- OK, alors amuse-toi un peu !

Je sentis quatre mains m'agripper par les membres. Deux types commençaient à me balancer à droite, à gauche, pour me faire prendre de l'élan. Ils comptèrent jusqu'à cinq puis dans un dernier effort, me lancèrent aussi loin qu'ils le purent dans l'eau glacée du lac. Je sentis mes muscles frémir quand je touchai l'eau. Tout mon corps disparut un instant sous la surface, sous les cris de victoire de la bande des deuxième année. Je refis rapidement surface. L'eau était si froide que je sentais déjà mes jambes s'ankyloser. Il fallait absolument que je sorte de l'eau rapidement. Je nageais lentement vers le bord, en évitant de les regarder. J'avais toujours aussi peur. Je ne savais pas jusqu'où ils voulaient aller.

Je touchai enfin le bord. J'accrochai péniblement mes mains à la rive terreuse et commençai à me hisser hors de l'eau. Le comité d'accueil était bien sûr au rendez-vous. Ils me regardèrent faire tous les efforts, puis, quand je fus sorti de l'eau, frissonant de frois, l'un d'eux me prit par le bras :

- T'es sorti de l'eau, c'est que t'as changé d'avis, c'est ça ? T'es d'accord pour nous faire une petite démonsration ?

- Vous n'avez pas le droit de me demander un truc pareil, articulai-je faiblement.

Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'aurai jamais dû ouvrir la bouche, surtout pour dire un truc pareil. Le gars me regarda fixement puis se tourna vers les autres pour les prendre à témoin.

- Hé, le bizuth, il dit qu'on n'a pas le droit de lui demander ça !

- On demande ce qu'on veut à un bizuth, petit con ! hurla un autre type. Allez, t'as pas compris la leçon, tu retournes au lac !

J'ai cru que j'allais défaillir. On m'empoigna à nouveau, et on m'emmena au bout de la jetée. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'étais à l'eau, sous les cris de mes bizuteurs. Je ne voyais pas comment j'allais pouvoir m'en sortir. Des larmes commencèrent à couler sur mon visage. Dans l'obscurité, heureusement, personne ne pouvait les voir. Mon corps était raidi par le froid. J'eus peur de perdre connaissance.

A ce moment, une voix, venue du terrain de sport, se fit entendre :

- C'est bon, les mecs, laissez-le, il a eu sa dose, là.

Je ne voyais pas qui venait de s'adresser à mon comité de bizutage de cette manière.

- Oh, hé, Laurent, nous casse pas notre jeu, on s'amuse bien avec lui !

- C'est bon les mecs. Je vous dit qu'il en a eu assez. Rentrez chez vous maintenant.

Le ton était amical mais ferme, et ne laissait pas d'alternative. Les membres du comité de bizutage lâchèrent un : 'bienvenue dans l'école, bizuth !' et s'en allèrent rapidement, riant encore à gorge déployée.

Pendant ce temps, je nageai lentement vers la rive. Je m'accrochai de toute mes forces à une pierre et tentai de m'extirper hors de l'eau quand je vis une main se tendre vers moi. Je levai les yeux. Un mec -Laurent selon toute vraisemblance- attendait juste au dessus de moi pour m'aider à sortir du lac. Sans un mot, je mis ma main dans la sienne. Il me tira fermement sur la terre ferme.

- Ca va ? demanda-t-il doucement, comme si quelqu'un d'autre pouvait nous entendre.

Je ne répondis pas. Mes larmes m'empêchaient de voir s'il se moquait de moi ou s'il se préoccupait sérieusement de mon état.

- Je les ai regardé faire pendant quelques minutes, et j'ai trouvé qu'ils s'étaient assez amusés avec toi, poursuivi-t-il. Allez, c'est terminé maintenant.

Il sortit une serviette de son sac de sport et me la tendit.

- Essuie-toi sinon tu es bon pour une super pneumonie, je te le garantis.

Sans pouvoir articuler un mot, je pris la serviette et commençai à me frictionner. Une fois séché, je repris mes affaires, qui jonchaient le sol à quelques mètres et commençai à me rhabiller. Je rendis sa serviette à Laurent.

- Merci, bredouillai-je entre mes larmes.

Il me sourit et me tapota l'épaule.

- De rien. Allez, va te coucher et passe une bonne nuit. Le pire est passé.

Sans un mot de plus, je repris le chemin qui menait au bâtiment 5, espérant qu'aucune mauvaise surprise ne m'y attendrait. Le bâtiment était désert. Je rentrai dans ma chambre et versai toutes les larmes de mon corps pour oublier l'affront que j'avais subi cette nuit. Le sommeil vint presque naturellement, et je m'endormis tout habillé, à demi-sec, sur mon lit encore fait.

VIII

Je me réveillai le lendemain matin avec la nausée. Je me demandais si j'avais rêvé. Pourtant, le jean froissé et le T-shirt encore légèrement humide se chargeaient de me rappeler que tout ce cauchemar avait été bien réel. Encore heureux, pensai-je, que le type soit arrivé pour me sortir de là !

Je me retrouvai avec Marc à la pause de 10 heures. Il m'accueillit avec un grand sourire, teinté d'inquiétude.

- Dis donc toi, t'as pas l'air dans ton assiette ce matin.

Je haussai les épaules.

- Ecoute Marc, j'ai pas trop envie d'en parler, tu vois. Pas maintenant.

- Je vois, fit-il.

En fait il ne voyait rien du tout, mais il avait dû comprendre à mon air excédé que j'avais tout sauf envie de disserter sur ce qui me tracassait.

- Allez, viens, proposa-t-il, je t'offre un café pour te remonter.

Sur le chemin, je crus reconnaître le mec de la nuit dernière, le mec qui m'avait sauvé d'un bizutage qui s'annonçait lugubre. C'était lui, j'en étais sûr : quand nous nous sommes croisés, il me lança un sourire engageant, me fit un petit signe de la main et me dit bonjour. Moi, je lui répondit un peu timidement, je n'avais pas tellement envie de le connaître, vu le cadre désastreux dans lequel nous nous étions rencontrés.

A peine nous avait-il dépassés, que Marc me donna un grand coup de coude qui m'arracha une grimace.

- Tu connais déjà Laurent ? Apparemment, tu fais ami-ami dans mon dos ?

- Mais qu'est-ce que tu racontes !

- Laurent, le président du Club Foot, qui est dans ton couloir ! Ne fais pas l'innocent, on vient de le croiser !

Abasourdi, je lui demandai :

- Le mec qu'on vient de croiser, c'est le prez' du Club Foot ?

Marc me regarda bizarrement. « Ne me dis pas que tu dis bonjour à des gens que tu ne connais pas ! »

Je secouai la tête. « Je ne savais pas que c'était lui le prez' du Club Foot, c'est tout. »

- Ah oui ?

Marc ne croyait pas un traître mot de ce que je lui disais. « Et tu l'as connu comment, si c'est pas indiscret ? »

Je soupirai. « Je te le dirai. Mais pas maintenant. Je ne sais même pas si ça en vaut la peine, d'ailleurs.» Marc comprenait de moins en moins.

- OK, fit-il, peu convaincu. Bon, il faut que je retourne en cours. On se retrouve à midi pour bouffer ?

- Ça marche. A tout à l'heure.

Tandis que Marc s'éloignait, je repensai à ma rencontre avec Laurent. « Au moins une chose positive : il n'a pas l'air de me haïr ! ». J'espérais simplement qu'il ne lui prendrait pas l'idée de tirer une gloire personnelle de mon sauvetage. Question honte, j'avais déjà donné.

IX

Une semaine avait passé, et la phase d'intégration des nouveaux à l'école était terminée. Le bizutage n'était plus qu'un mauvais souvenir. Maintenant, les locataires de mon couloir me disaient tous bonjour, avaient toujours un mot sympa quand je les croisais dans les couloirs de l'école, entre les cours. En vérité, c'était plutôt agréable de cotoyer des seconde années, et ceux du Club Foot, qui habitaient mon couloir, n'étaient pas les plus désagréables à regarder. Oh non bien sûr je ne me faisais pas d'illusion, Marc m'avait prévenu : « Il n'y a pas plus hétéro de chez hétéro qu'un mec du Club Foot ». N'empêche, quand j'en croisais un qui sortait de la douche, je ne pouvais m'empêcher de jeter un oeil à ses cuisses musclées, à ses bras puissants, ou à son cul lorsque par hasard nous sortions ensemble de la douche et que l'on s'essuyait en même temps. Il fallait quand même que je fasse attention car plus d'une fois je m'étais retrouvé avec un début d'érection gênant en rentrant dans ma chambre. Il ne fallait pas que quelqu'un se rende compte de mon trouble parce que là, c'en serait terminé de ma tranquillité.

J'étais justement en train de penser à cela en pénétrant dans la douche, quand j'entendis le robinet s'interrompre. Le rideau bougea, et Laurent sortit, encore trempé, simplement vêtu d'une serviette fixée à la taille. Je ne l'avais jamais vu dans cette tenue, et franchement, je fus plus que surpris. Il n'était pas aussi trapu que les autres. Son corps était élancé, musclé mais fin. Ses abdominaux se dessinaient délicatement sous une fine rangée de poils très bruns qui montaient jusqu'à ses pectoraux, parfaitement ciselés. Chose bizarre, que je n'avais jamais remarquée, il portait un petit lacet de cuir serré à la base du cou, qui le rendait très sexy, réellement désirable.

Quand il me vit, il m'adressa un grand sourire.

- Je ne savais pas que tu habitais le couloir, commença-t-il.

Puis, sur un ton un peu plus paternel : « Ça va depuis lundi dernier ? » J'eus envie de ne rien lui répondre, pour lui faire comprendre son manque de tact et pour qu'il se rende compte que je voulais effacer cet épisode de ma mémoire.

- Je crois que je t'ai déjà dit merci, répliquai-je un peu trop sèchement à mon goût.

Il eut l'air blessé. « Ce n'est pas ce que je voulais dire. Pardon. » Je fis un geste de la main comme pour dire que ça allait, pas la peine de s'excuser.

- Excuse-moi. Je n'ai pas trop envie de repenser à ça, tu vois.

- Oui je vois.

Il était devenu grave, soudain. Il se reprit.

- Au fait, c'est quoi ton nom ?

- Frédéric. Je suis dans la chambre 10, continuai-je, pour devancer sa question.

- Ah. Moi c'est Laurent, tu le sais déjà, je crois. Je suis au fond du couloir, chambre 1. Si jamais tu as un problème, n'hésite pas à venir me voir.

- Je ne vois pas pourquoi j'aurais un quelconque problème, mais c'est gentil de proposer, en tout cas.

Je me mordis aussitôt les doigts d'avoir répondu de manière si acerbe. A quoi cela pouvait-il servir ? Laurent encaissa ma remarque avec un faible sourire, puis, en se frottant vigoureusement la tête, il se dirigea vers les lavabos. J'en profitai pour me déshabiller -je n'osais pas me promener en slip en dehors de ma chambre- en entrer précipitamment sous la douche.

Tandis que je laissais l'eau brûlante couler sur moi, j'entendais Laurent, quelques mètres plus loin, qui terminait sa toilette. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait. J'avais l'impression qu'il faisait des efforts avec moi, qu'il essayait d'être gentil, alors qu'il aurait pu facilement m'ignorer. Il avait sans doute eu pitié de moi, le jour où il m'avait repêché dans le lac. Je n'en voulais pas, de sa pitié. A vrai dire, je ne voyais aucun intérêt à me lier d'amitié avec un type pareil, que l'on décrivait comme l'hétéro de base, et qui ne serait jamais capable de comprendre que moi je préférais les mecs. En plus, je venais de m'en rendre compte à mon érection qui devenait douloureuse, il me faisait de l'effet. Physiquement, c'était un super mec. Non seulement il était bien fichu, musclé là où il fallait mais en plus il était d'une beauté à couper le souffle. Ses grands yeux verts étaient comme deux cercles de lumière dans un visage mat, ses cheveux courts et très bruns achevaient de le rendre vraiment craquant. C'était le mâle dans toute sa splendeur. Dangereux pour moi, pensai-je. Il fallait que je reste à distance. M'approcher trop de lui ne pouvait que m'être nuisible. Je décidai donc d'éviter Laurent autant que possible.

J'attendis qu'il soit parti pour sortir précautionneusement de la douche et rentrer à pas de loup dans ma chambre. Ma décision était prise. Dimanche soir, j'irais avec Marc au Paradoxe. Je ne sais pas si cela avait un rapport avec ce qui venait de se passer dans les toilettes avec Laurent, mais je me suis senti plus léger, presque joyeux.

X

Une semaine plus tard

J'étais en train de faire quelques exercices au sol, rhytmés par la musique, quand on frappa à ma porte. Je poussai un profond soupir, baissai la radio et me dirigeai vers la porte. Un moment, j'eus envie d'enfiler quelque chose sur moi. Je ne portais qu'un boxer blanc. Finalement, je préférai rester dans cette tenue, mon gêneur verrait bien qu'il me dérangeait et n'oserait pas s'incruster.

J'ouvris la porte sur un Laurent légèrement gêné, qui le devint nettement plus lorsqu'il découvrit que je ne portais que mes sous-vêtements.

- Je te dérange ? articula-t-il.

- Non, non, ça va, je faisais ma gym. Entre.

Je sentis son regard s'attarder sur moi, sur mon torse imberbe, sur mes abdos que je venais de faire travailler. Quand je retournai vers le fond de la chambre pour couper complètement la radio, je sentis son regard peser sur mon corps. Cela avait le don de m'exaspérer. Mais Laurent avait l'air -comme d'habitude- dans de bonnes dispositions.

- Heum... Je sais que tu es bon en anglais, et j'ai un petit problème. Ça te dérangerait de regarder ?

Il avait pris son regard irrésistible, mi-chien battu mi séducteur sûr de lui. Je lui pris son bloc-notes des mains, m'assis confortablement, l'invitai à faire de même sur mon lit.

- Qu'est-ce que tu veux que je te fasse ?

Il ne me répondit pas. Je levai les yeux vers lui. Il était occupé à inspecter ma chambre et je réalisai avec appréhension que c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. Il paraissait aussi nerveux que moi. Enfin il me regarda et reprit ses esprits : « Tu m'as parlé ? »

- Non non, en fait je parlais tout seul, tu vois, c'est une habitude chez moi.

Le ton désinvolte de ma réponse lui arracha un sourire. Il s'affaissa sur le lit, passa ses mains derrière sa nuque et poussa un soupir d'aise, en fixant béatement le plafond. Je me suis dit qu'il devait confondre cours d'anglais et séance de yoga, mais finalement je décidai de jouir du spectacle. Je m'étais juré de ne plus approcher Laurent, mais là c'était lui qui venait se fourrer chez moi, je n'allais pas non plus bouder mon plaisir. Je ne pouvais détacher mes yeux de son entrejambe, et du mince filet de poils que j'apercevais entre son pantalon et son gros pull. Il n'était qu'à un mètre de moi, je pouvais sentir son odeur, un discret mélange de sueur et de déodorant bon marché. Dans ces moments, je sentais que je pouvais faire une énorme connerie, comme lui passer la main sur les cuisses, ou lui dire que je le trouvais craquant. Il fallait que je fasse super gaffe.

Il releva la tête. Je le vis encore ses yeux passer de mes pectoraux à mon boxer, sans aucune pudeur. Je me sentis un peu mal à l'aise.

- Tu vas souvent au Paradoxe ?

La question avait l'air innocente. Je tâchai de répondre de manière blasée, sans montrer ma suprise -je ne me doutais pas qu'il savait que j'y étais allé le dimanche d'avant avec Marc-.

- J'y suis allé pour la première fois dimanche dernier. C'était pas mal, je pense que j'y retournerai sans doute.

Je vis dans ses yeux qu'il n'était pas satisfait de ma réponse. Il en voulait plus.

- Tu trouves ça mal ? continuai-je, sur mes gardes.

- De quoi ? D'aller à des soirées gay ? Je ne l'ai jamais fait, personnellement.

- Mais non, pas d'aller à des soirées gay ! D'être gay ! Ne fais pas semblant de ne pas comprendre !

J'avais lâché ces mots avec mordant. J'espérais ne pas l'avoir choqué. Il se dressa sur son séant, souleva son pull pour passer sa main droite et se gratter nonchalemment le torse. Je ne pus m'empêcher de jeter un bref coup d'oeil, qu'il intercepta.

- Non, je comprends, fit-il enfin. Je voulais juste savoir.

- Qu'est-ce que ça change pour toi ? demandai-je sans comprendre.

- Oh, rien. Je préfère que les gens soient honnêtes, c'est tout.

Devant une telle accusation, je tressaillis.

- Attends, on ne se connaît pas, enfin ! Tu aurais voulu que je te dise : 'salut je m'appelle Frédéric et je suis pédé', c'est ça ? Quel intérêt !

Laurent se leva.

- C'est vrai. On ne se connaît pas. Mais c'est dommage. Et si tu crois que je vais te détester parce que tu es homo, je préfère que tu me rendes mon truc d'anglais.

Je haussai les épaules. Il avait gagné.

- Rassieds-toi, Laurent, s'il-te-plaît, implorai-je presque d'une voix redevenue calme. On va s'y mettre, à cet anglais. Mais je voulais juste que tu saches que ce que je viens de te dire est une marque de confiance. OK ?

Il vint se placer juste à côté de moi, s'accroupit à côté de ma chaise, et posa la main sur ma cuisse, juste en dessous de la couture du boxer.

- Tu peux compter sur moi.

La sensation de sa main sur ma jambe m'électrisa. Il fallait qu'il l'enlève rapidement sinon j'allais vraiment me sentir mal. Heureusement, il fit un geste de côté, et appuya sa main sur le bureau. Sans un mot, j'ouvris le bloc-notes et nous commençâmes à regarder l'anglais.

Au bout de quelques minutes, je me rendis compte que l'anglais ne devait vraiment être que le premier prétexte qu'il ait trouvé, parce que son exercice était on ne peut plus simple - et surtout, cela n'avait pas l'air de le passionner outre mesure-. J'avais même l'impression qu'il n'en avait strictement rien à faire. Peu à peu, il s'était rapproché de moi, et à plusieurs reprises, son bras avait effleuré mon torse en tournant les pages du bloc-notes. A chaque fois j'avais presque sursauté. Je luttais pour que mon excitation ne soit pas trop visible -en vérité, la peur qu'il m'inspirait suffisait à calmer certaines de mes ardeurs-.

Quand nous fûmes arrivés à la fin de l'exercice, Laurent se leva, me remercia et commença à s'en aller. Avant d'ouvrir la porte, il se retourna :

- N'hésite pas à venir me voir, un de ces quatre.

Il s'arrêta et reprit, un peu plus sûr de lui.

- Ça te dirait de bouffer avec nous demain ?

- Avec le Club Foot ? fis-je froidement, pour lui montrer le peu d'envie que m'inspirait cette perpective.

- Ouais, ou alors avec moi tout seul, si tu préfères.

- Oui, je crois que je préfère.

Il sourit simplement. « A demain Fred » Il ne m'avait encore jamais appelé par mon surnom. La porte se referma doucement. Je me remis prestement à mes exercices, en essayant de ne pas trop penser à ce qui venait de se passer. Je savais que ça ne pouvait me faire que du mal. Quoi ? J'étais en train de craquer pour un mec hétéro, comme d'habitude. Il ne fallait pas que je m'imagine que Laurent soit venu pour moi, non. Il était venu pour voir de plus près ce que c'était qu'un pédé, c'est tout. Il voulait jouer avec moi, sans doute. Un jeu cruel.

XI

- Fred tu me fais chier !

Laurent était allongé sur mon lit, à plat ventre, la tête enfouie dans l'oreiller. Il faisait semblant de dormir.

- Attends, c'est mon lit, merde ! fis-je en essayant de prendre une voix menaçante.

- Putain tu me fais peur, là.

Il s'était relevé et avait tourné sa tête vers moi. Il me provoquait, là, c'était certain. Cela faisait deux heures que l'on travaillait ensemble notre exposé d'espagnol (seul cours dans lequel les première et seconde années pouvaient se retrouver ensemble) et dix minutes plus tôt, Laurent avait décidé qu'il en avait marre et qu'il arrêtait de travailler. Il s'était jeté sur mon lit et n'avait plus bougé depuis.

- Bon allez, c'est plus drôle, là. J'ai sommeil, moi.

Je n'avais pas été plus convaincant.

- Ben viens avec moi ! proposa-t-il avec un sourire en coin.

Surpris par le caractère direct de la proposition, je me résolus à penser qu'il voulait encore une fois me faire marcher.

- Et que dirait ta copine, abruti ?

Il cessa de sourire, fit semblant de réfléchir intensément puis se leva brusquement du lit.

- T'as raison. Elle m'en voudrait. A mort.

Voilà comment Laurent était depuis un mois. Il soufflait le chaud et le froid avec une régulière constance. Un instant, je pensais que si j'insistais un peu, je pourrais peut-être me le faire dans les minutes qui suivraient, et l'instant d'après, il faisait une petite remarque qui détruisait tous mes espoirs à néant.

La veille, j'en avais encore parlé à Marc. Il avait voulu me fixer une bonne fois pour toutes. « Il n'y a pas plus hétéro que ce mec, Fred, arrête de fantasmer dans le vide. La seule chance que tu aies de te le faire serait que tu le violes, et encore, je suis même pas sûr que tu puisses avoir le dessus... ». Marc avait mille fois raison. Peut-être que Laurent s'était rendu compte qu'il ne m'était pas vraiment indifférent, et qu'il voulait me tester, savoir jusqu'où je pourrais aller. Dans mes pires cauchemars, j'imaginais qu'un jour Laurent vienne vers moi, me prenne dans ses bras, que je commence à l'embrasser, et là qu'il se dégage, que les lumières s'allument et que tous ses potes du Club Foot soient là, goguenards, à me regarder dédaigneusement. « Sale pédé ! ». Je les entendais trop bien. En même temps, je ne croyais pas Laurent capable d'une pareille forfaiture. Il avait l'air de m'apprécier vraiment. Comme un ami. Il fallait que je me fasse une raison.

XII

- T'es super belle, jeta Marc avec envie.

- Je t'interdis de parler de moi au féminin, répliquai-je. « Connasse ».

Il partit d'un grand éclat de rire sonore. En vérité, je trouvais que j'avais plutôt l'air sorti d'un boys' band, avec mon T-shirt noir serré, et mon 501 blanc immaculé.

- Je te jure que tu es hyper sexy, assura Marc.

Je le regardai.

- T'as pas à te plaindre non plus, observai-je.

Depuis quelques temps, Marc semblait jouer avec son personnage, comme s'il voulait s'afficher de plus en plus gay. Aujourd'hui, il portait un petit T-shirt qui s'arrêtait au dessus du nombril, et un pantalon en strech brillant ultra-moulant. Il était hyper bien fichu, ce qui ne gâchait rien.

Dehors, les portières claquaient, des rires et des sifflements fusaient. Tout le monde se rendait à la soirée d'adieu avant les vacances de la Toussaint. Les cours se terminaient le lendemain mais personne ne songeait y aller. Marc et moi avions décidé d'aller ensemble à la soirée, en fait je ne vois pas vraiment avec qui d'autre j'aurais pu y aller. Je ne m'étais pas fait d'autre vrais amis sur le campus, que des connaissances, hormis Laurent, mais il était bizarrement distant depuis plusieurs jours.

La soirée était déjà bien entamée quand nous pénétrâmes dans la boîte. La musique était assourdissante, un mélange de techno-disco bas-de-gamme, mais la plupart des gens avaient l'air d'apprécier. Quelqu'un dans le fond fit signe à Marc qui s'éloigna en me promettant de revenir dans deux minutes. Je m'avançai doucement vers le bar, évitant les danseurs, et m'assis discrètement sur un canapé laissé vide. Je pouvais observer sans me faire trop remarquer. Je vis bientôt ce que je cherchais : Laurent était sur la piste, en train de danser avec une fille qui -remarquai-je avec effroi- n'était pas Alice, la soi-disant femme de sa vie. Il m'avait effectivement dit qu'elle ne pourrait pas venir. J'étais loin de m'imaginer qu'il pourrait en profiter. Je le regardais approcher la fille le coeur serré. Je voyais ses manoeuvres d'approche, j'étais sûr que dans moins de cinq minutes il serait en train de l'emballer, sous les regards admiratifs des autres membres du Club Foot. « Quelle soirée » pensai-je en me maudissant d'avoir accepté l'invitation de Marc. A quoi cela servait-il de souffrir inutilement pour un mec pareil ?

Soudain j'aperçus quelqu'un sur la piste, Thomas, un type du couloir, qui me fit un grand signe amical, auquel je répondis par un petit coucou. Laurent regarda dans ma direction, et me vit. Un sourire s'ébaucha sur ses lèvres, il regarda la fille à nouveau, murmura quelque chose dans son oreille et s'avança vers moi. « Le pire est à venir » pensai-je, en me demandant s'il allait m'inviter à danser avec cette pétasse.

- Comment vas-tu ? parvint-il à hurler par dessus la musique.

Je levai le pouce. Il s'assit à côté de moi, sur le canapé, et s'approcha. Son épaule toucha la mienne; il se pencha dans ma direction. Je sentis qu'il avait déjà pas mal bu. Son regard légèrement hagard ne pouvait pas me tromper.

- Tu viens danser ?

Je fis 'non' de la tête. « Pas tout de suite, la musique est ultra-beauf ».

- Je suis content que tu sois venu, tu sais.

Je ne pouvais pas être plus mal à l'aise. Il était dans un état où il n'avait pas réellement conscience de ce qu'il disait -du moins l'imaginais-je-. Je me tortillais sur le canapé en essayant de déserrer son étreinte, mais pour toute réponse, il passa un bras autour de mes épaules.

- Laurent arrête s'il te plaît, murmurai-je.

Il ne fit rien. Puis il se leva brutalement, et me tira par le bras. « Viens, on va dehors ». Je le suivis sans comprendre. Je n'avais guère le choix : il me tenait fermement et n'avait pas l'intention de me lâcher. Avant de sortir de la boîte, il me fit passer devant lui, puis passa un bras autour de ma taille. Je pouvais sentir son haleine alcoolisée sur mon cou. Il me poussa sur le côté, nous longeâmes la boîte sur quelques mètres et tout d'un coup, nous arrivâmes au bord du Drac. La rivière coulait bruyamment dans l'obscurité. Seul un lointain lampadaire m'éclairait le visage de Laurent.

Il me lâcha le bras et prit ma main gauche. De son autre main, il commença à me caresser le torse, puis il défit mon T-shirt et passa sa main dessous. Je n'éprouvais aucun plaisir. J'étais complètement choqué. Quelques secondes auparavant, il allait se faire une fille, et voilà que maintenant, sans même me demander mon avis, il se jetait sur moi ! Je le repoussai gentiment, mais fermement. Il me regarda, et repassa sa main sous mon T-shirt. Il s'était rapproché de moi, et nos visages pouvaient presque se toucher. Il me regarda, de ce regard vide qu'ont les gens saoûls:

- Me dis pas que t'es contre ! murmura-t-il dans un souffle. Je sais que t'attends que ça.

Et sans plus attendre il m'embrassa furieusement. Furieux, je me détachai brutalement de lui et arrachai ma main de la sienne.

- Mais tu te prends pour qui ! criai-je, hors de moi. T'as pas honte ?!

Il ne réalisait pas le degré de ma colère; il tâcha de se faire conciliant:

- Je sais que t'as envie de moi, Fred. Depuis le premier jour.

Je l'aurais gifflé. De rage.

- Espèce de connard, répliquai-je d'une voix blanche. Je n'ai pas envie de toi. Je t'aime ! Tu comprends ça ? C'est pas pareil, t'es d'accord !

Je fis une courte pause pour reprendre mes esprits.

- Mais maintenant, après ce qui vient de se passer, tu me dégoûtes ! Franchement, j'ai envie de gerber. T'es pitoyable ! T'en as rien à foutre de ma gueule, t'étais prêt à te faire une fille il n'y a pas cinq minutes !

Il tenta vainement de reprendre ma main. Visiblement, il ne comprenait pas.

- Lâche-moi, hurlai-je, complètement enragé. Et retourne voir tes copains, l'autre pute, et ton alcool ! Tu me fais pitié, c'est tout !

Sur ces mots, je tournai les talons et courus à ma voiture. Sans une pensée pour Marc que je devais ramener, je démarrai et partis en faisant voler un tourbillon de poussière. Dans le rétroviseur, je vis Laurent, un peu désorienté, chercher l'entrée de la boîte, puis disparaître à l'intérieur. Je ne déserrai les dents qu'en arrivant dans ma chambre. J'étais trop énervé pour me mettre à pleurer. Je jetai mes vêtements par terre et plongeai dans mon lit, sans plus réfléchir.

XIII

La sonnerie du téléphone me réveilla. Il était presque onze heures. Je me ruai à mon bureau pour décrocher le combiné. C'était Marc.

- Tu m'as fait peur, admis-je en reprenant mon souffle.

- Ça va ? s'enquit-il sans autre forme de préambule.

Tous les évènements de la nuit passée me revinrent instantanément en mémoire.

- Ecoute, je suis désolé d'être parti sans te prévenir, mais je te jure que j'avais une bonne raison !

- Je crois savoir laquelle, affirma-t-il doucement.

Je tressaillis. Se pouvait-il que Laurent soit allé le voir ?

- Qu'est-ce que tu sais, demandai-je, sur mes gardes.

- Je m'en voudrais si ce n'était pas ça...

- Oh allez, c'est bon ! Je te promets que je t'explique après.

- Hé bien, poursuivit-il, hier, j'ai discuté avec un des mecs du Club Foot, passablement bourré. Il n'arrêtait pas de me demander où tu étais, alors je lui ai demandé pourquoi il te cherchait. Il m'a répondu qu'il voulait se marrer, parce que, selon lui, Laurent avait envie de s'amuser avec toi ce soir.

Je faillis tomber de ma chaise.

- Alors, continua Marc, je me suis mis à te chercher pour te prévenir, mais je ne t'ai pas trouvé. J'ai vu Laurent, par contre. Je n'ai pas osé aller le voir pour lui demander s'il t'avait vu. Je suis sorti, j'ai vu que ta voiture n'était plus là, alors j'ai un peu paniqué.

Sa voix était un peu saccadée.

- Je me suis dit qu'il fallait que je demande à Laurent.

Je passais ma main sur mon visage pour me cacher les yeux de honte. Je n'osais pas entendre la suite.

- Alors je suis allé le voir pour lui demander s'il savait où tu étais. Le pauvre, il était dans un état ! Complètement fait ! Il m'a dit un truc à moitié incompréhensible, genre « il est rentré se coucher parce qu'il trouvait que la musique était ultra-beauf ». Je ne l'ai pas cru, mais il a insisté, il m'a dit que si, etc... alors j'ai fini par le croire. Je suis rentré avec Sébastien et Cathy, à 5 heures, j'ai vu ta voiture sur le parking, ça m'a rassuré. Alors, qu'est-ce qui t'es arrivé ?

- T'es prêt ?

D'une traîte, je lui racontai les évènements de la nuit passée. Il accusa le coup.

- Je ne peux pas imaginer que Laurent ait fait une chose pareille !

- Tu ne me crois pas ? fis-je, un rien acerbe.

- Mais si voyons. En tout cas, tu sais à quoi t'en tenir, maintenant.

- Je ne te le fais pas dire.

Je ne pouvais pas le croire. Non seulement Laurent avait eu envie de jouer avec moi, avec mes sentiments -qu'il connaissait- mais il avait voulu en faire profiter toute sa bande. J'eus presque envie de rire en réalisant que mon pire cauchemar avait failli devenir réalité. C'était plus que ce que je ne pouvais supporter. Je m'allongeai sur mon lit en fondit en larmes.

Je ne vis absolument personne de la journée. Je fis mon sac rapidement, et prit la route pour Dunkerque en début d'après-midi. Il y a à peine une semaine, je n'imaginais pas que je serais si content de revoir mes parents. Ces quelques jours de vacances allaient me faire le plus grand bien.

XIV

Après les vacances

Je m'étais décidé à repartir sur de nouvelles bases. Ma première résolution avait été de faire une croix sur Laurent. J'avais craint que cela soit difficile, après tout je l'aimais quand même, mais après les évènements de la soirée d'avant les vacances, les sentiments que j'éprouvais pour lui étaient devenus très différents. Il m'était beaucoup plus facile de m'éloigner de lui, à présent. Dieu sait que je lui en voulais, pour ce qu'il avait fait, et surtout pour ce qu'il avait prévu de faire. J'avais peur de me trouver en face de lui, mais, moi, finalement, je n'avais rien à me reprocher

La première journée de cours se passa plutôt bien. J'aperçus Laurent plusieurs fois, mais je détournai le regard chaque fois que je le voyais se tourner vers moi. Marc vit mon manège, et comprit ce qui se passait.

- Tu ne veux plus le voir, hein ? demanda-t-il, avec son air de confident à la Mireille Dumas qu'il prenait quand il voulait me parler sérieusement.

- Après ce qu'il m'a fait, c'est normal, non ?

Il eut l'air surpris de ma détermination.

- Je comprends.

Je réussis donc à éviter Laurent sans trop de problèmes. Je pensai bien que ce serait plus dur dans le couloir, qu'il y aurait forcément un jour où nous nous retrouverions ensemble aux douches, ou que nous nous croiserions, tout simplement, mais je ne voulais pas y penser. Ce qui me troublait le plus, c'est que nous avions un cours d'espagnol ensemble le mardi, et là, il allait falloir bien jouer pour pouvoir l'éviter.

*

Le mardi matin, j'avais simplement décidé d'arriver avec quelques minutes de retard en cours : Laurent serait déjà assis, je n'aurais qu'à choisir une place aussi éloignée que possible de la sienne. Il était 10h10 quand je pénétrai dans la salle de cours. Après un vague mot d'excuse bredouillé au professeur, je jetai un rapide coup d'oeil circulaire dans la classe. Je vis tout de suite Laurent. Il me regardait fixement. Il y avait -bien sûr- une place vide à côté de lui, qui semblait m'attendre. Je détournai vivement le regard et partit m'asseoir au fond de la classe, à l'opposé de l'endroit où Laurent s'était installé. Je le vis se retourner, l'air préoccuppé, et essayer de croiser mon regard. Je gardai obstinément les yeux fixés sur le tableau noir.

Durant tout le cours, je sentis que Laurent se posait des questions, qu'il n'était pas tout à fait dans son assiette. Je ne pouvais me résoudre à croire qu'il m'avait gardé -comme d'habitude- une place à côté de lui en cours. Pas après ce qui s'était passé ! S'il avait oublié ce qu'il m'avait fait, je me chargerais de lui rappeler.

A la fin du cours, je quittai précipitamment la salle, pour éviter d'être confronté à son regard. Marc était en train de discuter avec un mec super mignon, un troisième année, je crois. Je n'avais pas envie de lui casser son coup, aussi m'approchai-je à pas de loup. Il me fit un sourire engageant, signifiant que je pouvais me joindre à eux.

- Juste un truc, dis-je après avoir salué Samuel, que Marc me présenta en des termes flatteurs : on mange ensemble ce midi ?

- Ouais, bien sûr, répondit-il sur un ton enjoué. Samuel, tu manges avec nous ?

Il acquiesca. Je le vis sourire en direction de Marc, et je compris pourquoi celui-ci semblait être sous le charme. Je m'en voulais d'être venu les déranger, alors je tapai sur l'épaule de Marc. « A ce midi ».

*

Comme le matin, je me trouvais un petit peu en trop durant le repas de midi. Non que Marc ou Samuel m'aient fait sentir que je n'aurais pas dû être là, non en vérité ils semblaient contents que je détende l'atmosphère et que je ne les laisse pas tous les deux. En même temps, j'avais l'impression d'assister en temps réel à la concrétisation de quelque chose qui m'échappait, et auquel je n'avais pas droit. « Allez, je me fais des idées, pensai-je. Ce mec n'est pas plus pédé que Laurent, Marc fantasme mais ça finira mal, comme toujours... »

Samuel était en train de faire une remarque sur le dernier film de Woody Allen quand je vis Laurent, avec son plateau, s'avancer vers notre table. Mon coeur s'arrêta de battre. « Ce n'est pas possible, raisonna-je en mon for intérieur, ce n'est pas vers nous qu'il se dirige ! ». C'était pourtant le cas. Arrivé à notre hauteur, il se pencha vers Marc pour demander:

- Je peux me joindre à vous ?

C'en était trop. Je me levai brusquement, sans finir mon repas, empoignai mon plateau et partit sans un mot vers la sortie. Je bouillonais de rage, et ce d'autant plus que Laurent s'était adressé à Marc, comme s'il estimait qu'il était le plus à même de l'autoriser à s'installer à notre table ! Mais Marc n'avait rien à lui pardonner ! A quoi cela rimait-il ? J'avais à peine posé mon plateau sur le tapis de débarrassage que je sentis une main se poser sur mon épaule. C'était Laurent, le visage défait.

- Frédéric, il faut qu'on se parle.

- Je ne vois pas ce qu'on a à se dire, répliquai-je en commençant à sortir du RU.

Il m'emboîta le pas.

- Frédéric, je suis désolé, vraiment désolé, pour ce qui s'est passé l'autre soir. Tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux d'avoir agi comme je l'ai fait.

- Ce n'est plus mon problème, rétorquai-je séchèment. Il fallait se poser la question avant.

Je fis une pause.

- Que ça soit clair, Laurent : je n'ai plus envie de te parler. Salut.

Je partis d'un pas décidé, profondément troublé par la scène qui venait de se dérouler et par la figure effarée de Laurent. Il avait visiblement été touché par ce que je lui avais dit. J'étais content qu'il réalise -au moins !- que son comportement de l'autre jour était imbécile. Je ne comprenais toujours pas pourquoi il agissait de la sorte, mais ce n'était plus vraiment une préoccupation majeure pour moi. Je n'allais pas me faire avoir deux fois !

XV

L'après-midi se passa sans encombre. Quand je rentrai dans ma chambre, je vis sur le répondeur clignoter le chiffre '1'. J'appuyais sur la touche 'play'. C'était Marc. « Fred, tu peux passer me voir quand tu as ce message ? Je ne bouge pas de chez moi. A tout à l'heure ». Plutôt surpris, je restai un moment la main posée sur le combiné, hésitant à appeler Marc avant de me rendre chez lui, pour qu'il m'explique la teneur de ce message énigmatique. Puis je pris ma décision, reprit mon manteau que j'avais négligemment jeté sur le lit, et ressortit en m'assurant que le chemin était libre et que Laurent ne traînait pas dans les parages.

En entrant dans le bâtiment de Marc, je croisai Samuel, qui m'adressa un grand sourire. Il ne peut venir que de chez Marc, pensai-je, presque jaloux.

La porte de la chambre de Marc était entr'ouverte. Je frappai doucement puis, sans attendre de réponse, entrai.

- J'ai croisé Samuel, dis-je sur un ton neutre. Il était chez toi ?

- Oui, fit-il avec un sourire en coin, sans me regarder. On a travaillé.

- Je vois.

Son air en disait long, en effet.

- Pourquoi tu m'as fait venir, alors, insinuai-je, si tu étais en train de travailler avec Samuel ?

Il quitta ses pensées en sembla revenir sur terre.

- Ah oui, répondit-il d'un air plus soucieux. Laurent est venu me parler, après le coup du déjeuner.

Il fait un pause et reprit, presque professoral : « T'as pas été fin, sur ce coup-là, toi. »

- Hein ? Mais attends, je ne veux plus le voir, ce mec ! Tu comprends pas ?

Il prit un air faussement excédé.

- Fred, ce mec craque pour toi, continua-t-il le plus sérieusement du monde.

Je haussai les épaules.

- Oui je sais, figure-toi qu'il me l'a déjà dit !

Marc ignora mon sarcasme et poursuivit sur un ton de confidence.

- Fred, Laurent a cassé avec Alice pendant les vacances. Il l'a fait pour toi. Il me l'a dit. Je te jure qu'il n'était pas loin de pleurer, tout à l'heure. Il avait l'air d'un animal blessé et en face de moi, il n'en menait pas large.

Abasourdi, je me laissai tomber sur le lit de Marc.

- Tu déconnes, non ? Après ce qu'il m'a fait ?

- Il était bourré, Fred, ce soir-là.

- Mais suffisamment conscient pour avoir envie de me ridiculiser devant ses copains !

- Il m'a expliqué, ça aussi. Je t'assure que tu devrais lui donner une chance. Il était vraiment sincère. Il y a des moments où tu ne peux pas faire semblant.

Je restai un long moment silencieux. Je songeais à tout ce que Marc venait de me dire, à tout ce que cela impliquait.

- Fred...

- Mmmh ?

Je n'avais pas levé les yeux vers Marc, j'étais encore songeur.

- Tu l'aimes, Laurent, non ? Alors où est le problème ?

J'inspirai profondément.

- Je ne sais pas. Je l'aime ? Oui, je crois, c'est si rapide, j'ai un peu du mal à croire tout ça, c'est comme...

Je me levai brusquement. Marc me regardait sans comprendre.

- Je rentre. Il faut que je réfléchisse.

Je lui pris la main.

- Merci pour ton aide, en tout cas. Vraiment.

Sur le chemin du retour, mes pensées commençaient à se faire plus nettes. Ainsi Laurent avait quitté sa copine, qu'il fréquentait depuis plus d'un an, parce qu'il se sentait attiré par moi ? Au fond de moi, je sentais comme un sentiment de douce euphorie m'envahir, mais je luttais pour qu'il ne me fasse pas oublier mes doutes. J'étais encore trop choqué par le comportement de Laurent à la soirée pour pouvoir croire totalement ce que m'avait dit Marc. Malgré le froid piquant, je restai un moment immobile, scrutant le ciel étoilé, respirant l'air glacé, comme pour faire le vide dans mon esprit. Que faire maintenant ?

XVI

En arrivant au troisième étage du bâtiment 5, je me trouvai devant deux membres du Club Foot qui discutaient devant les toilettes. Ils s'interrompirent en me voyant, et me regardèrent bizarrement. J'avais cru les entendre prononcer le nom de Laurent. Sans un mot, je rentrai dans ma chambre. « Je deviens paranoïaque », pensai-je. « Comme si ces types pouvaient savoir ce qui se passe ! »

Quelques minutes plus tard, on frappa bruyamment à ma porte. Je priai pour que ce ne soit pas Laurent. Dans l'embrasure de la porte se tenaient les deux types que j'avais vu auparavant, et Romain, le vice-président du Club Foot, meilleur ami de Laurent. Ce fut lui qui prit la parole.

- Désolé de te déranger, commença-t-il. Je reviens de l'hôpital. Laurent a eu un accident de voiture.

Je blêmis tandis qu'il m'expliquait les circonstances de l'incident.

- Rien de très grave, mais il est assez choqué. Il m'a demandé que tu viennes le voir, si tu voulais.

Il s'arrêta pour déglutir, puis reprit d'une voix moins assurée.

- Il avait l'air d'y tenir vraiment.

Je fis signe que j'y allais immédiatement, enfilai mon manteau en un instant et descendit les escaliers quatre à quatre, sans réfléchir. Laurent était blessé. Il voulait me voir ?

Je conduisis brutalement jusqu'au CHU de Grenoble, sans trop me préoccuper des feux. Je n'avais même pas emmené quelque chose à lui offrir.

Je m'arrêtai dans le hall, désert en cette heure tardive, et repérai un petit kiosque encore ouvert, qui vendait des boîtes de chocolat. Je pris des chocolats blancs -je savais qu'il en raffolait- et me dirigeait vers les ascenceurs.

Le quatrième étage était, lui aussi, complètement vide. Troublé par l'intimité des lumières tamisées, qui éclairaient faiblement le long couloir blanc, je me dirigeai lentement vers le bureau des infirmières. L'odeur médicale si caractéristique des hôpitaux commençait à m'envahir. Je frappai doucement à la vitre. Une infirmière leva les yeux.

- Je viens voir M. Carrère, je sais qu'il est tard, mais...

- Vous êtes ? m'interrompit-elle.

- Frédéric LaSalle.

- Ah oui, allez-y. Je crois qu'il vous attend.

Je regardai l'infirmière sans comprendre.

- Chambre 411, précisa-t-elle avec un sourire. N'abusez pas de son temps, il est très fatigué.

Je promis que je ne resterais pas longtemps, et marchai vers la chambre de Laurent. Arrivé devant, je restai immobile quelques instants, ne sachant pas trop quelle attitude adopter, maintenant que j'étais pratiquement face à lui. Je me décidai à frapper doucement. N'entendant aucune réponse, je poussai doucement la lourde porte. Laurent était allongé sur son lit, les yeux fermés, légèrement tourné vers moi. Le drap à demi rabattu laissait voir une partie de son torse. Il était magnifique. Son visage semblait reposé, je pouvais presque y déceler un mince sourire.

Puis je me souvins que j'étais venu voir un accidenté de la route, simplement contusionné mais passablement choqué. Je repris mes esprits et toussai discrètement. Alors Laurent ouvrit les yeux. Un faible sourire éclaira son visage. Il tendit la main. Je m'approchai précautionneusement, et m'assit à côté du lit. Il prit ma main dans la sienne et la serra longuement.

- Merci d'être venu, murmura-t-il.

- Ça va ? parvins-je à articuler malgré mon émotion.

Il fit 'oui' de la tête. Un silence gênant s'instaura. Je ne savais quoi dire. Il paraissait peu sûr de lui, hésitant. Soudain il me fit signe de monter m'asseoir sur le lit, à côté de lui. Je saisis l'occasion pour lui tendre la boîte de chocolat. Il eut l'air touché.

- J'ai pensé que ça te ferait plaisir que je t'amène un petit quelque chose, fis-je en essayant de garder un air détaché.

Il me regarda droit dans les yeux.

- Tu pouvais venir sans rien, Fred. Tant que tu es là, rien d'autre n'est important pour moi.

Je sentis que le moment était arrivé.

- Je t'a

 

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